Dans le dessin et la peinture, la trace de l’outil invite à suivre les tours et les détours de la forme, qu’elle soit ligne, point ou surface pour reprendre les mots de Kandinsky dans son livre « Point et ligne sur plan » publié en 1926. La trace dessine l’orée entre la réalité sensible, celle qui se donne à voir, et la réalité symbolique, celle qui se donne à imaginer.
Cette exposition présente les quatre axes d'inspirations de l'artiste plasticienne Josée Tourrette.
A découvrir absolument !
Vernissage de l'exposition : mardi 14 février à 18h30
FIGURES
« L’art demeure le seul lieu où la tyrannie du visage puisse être déjouée » (R. Barthes)
Parler du portrait c’est parler du visage, de l’expression. En effet, composé de multiples caractéristiques, le visage ne peut pas être décrit en lui-même ; il se résume donc à l’expression. Mais un portrait dessiné, peint, se heurte à la dialectique de la ressemblance. « Ça lui ressemble » ou « Ça ne lui ressemble pas ». Ce « ça » renvoie à la figure proposée par l’artiste. La ressemblance, elle, concerne à l’évidence le sujet, son visage, son portrait, auxquels il renvoie. Mais que dit le visage de la personne elle-même ? Est-il autre chose qu’un masque changeant selon les jours, les humeurs, et le temps qui passe ? Et si le mot persona en latin signifie masque, cela nous alerte sur l’ambiguïté de l’identification. La personne est-elle autre que ce que le portrait de l’artiste dit d’elle ? Et si l’enfant acquière la possibilité de dire « je » à travers l’expérience du miroir, et s’assume comme tel, encore faut-il remarquer que l’image en miroir, par son asymétrie, semble moins « vraie » que l’expression ressentie devant le portrait réussi.
D’ailleurs on peut interroger également la perspicacité de celui qui prononce le fatidique « ça lui ressemble ». En effet, que voyons-nous au juste quand nous regardons le visage d’autrui ? Celui-ci se présente toujours de façon morcelée. Couleur des yeux, forme du visage, des oreilles, du nez etc. Et paradoxalement, lorsque nous pensons au visage d’autrui, nous le percevons dans sa globalité.
Le travail de l’artiste est donc bien au-delà d’une simple recherche de ressemblance. Il décrypte, à travers la vulnérabilité du visage, ce qui révèle profondément l’essence de la personne. Par-delà l’apparence il retrouve cette certitude des Anciens pour qui le regard est le reflet de l’âme. Trahi et révélé par les yeux, le regard se pose alors sur le spectateur qui risque de s’y reconnaître en miroir. Dans ce regard figé dans l’instant, dans cette expression fugitive et pourtant toujours présente, l’artiste trace toute l’histoire du sujet, comme un instant suspendu. Peindre, dessiner un portrait, c’est pour Josée Tourrette sa façon de nous dire le bel écoulement du temps. En quelque sorte, l’artiste dépouille le sujet de tous ses artifices, de tous ses masques sociaux, pour atteindre le plus profond de son intimité, ce qui reste identique et l’authentifie, ce que François Jacob appelle « la statue intérieure ». On comprend mieux alors Roland Barthes lorsqu’il nous dit que « « les yeux débouchent directement sur le visage comme s’ils étaient le fond noir et vide de l’écriture ».
Bernard Tourrette